Cela fait trois fois en trois jours que nous rencontrons Fofana Ali dans une station de la commune de Yopougon, toujours à la même heure : 22h30. Dans ce lieu, il vient toujours à la recherche de petite monnaie qu’il prépare pour son déplacement du lendemain au travail. Habituellement les pompistes habitués à ses visites régulières lui réservent les changes dont il a besoin. Mais, lorsque ceux-ci connaissent une journée morose, et que les entrées d’argent sont à compte-gouttes, ce qui arrive parfois, Ali n’a pas le choix que de s’en remettre à son sort. « Je devine la difficulté qui m’attend demain », nous confie-t-il.Car, emprunter de nos jours un moyen de transport en commun appelé Gbaka ou wôrô wôrô (taxi) sans la petite monnaie, c’est un parcours du combattant. Mais, l'avoir est « une grâce ». « Vous n’avez pas à poiroter devant l’apprenti ou le chauffeur pour une question de monnaie « c’est dès que dès que », nous raconte notre interlocuteur dans son jargon sur un ton amuseur. Selon lui, les chauffeurs et les apprentis ne sont pas honnêtes. « Parfois ils ont la monnaie, mais ils refusent de nous la rendre lorsqu’on a des billets. C’est à la descente qu’ils s’attellent à chercher la monnaie, alors que vous êtes pris par le temps», fait remarquer Fofana Ali. Gbakas, wôrô wôrô, et même les bus, disent être confrontés aux problèmes de petite monnaie. Si l’argent est censé circuler, où va donc jetons que les passagers remettent quotidiennement comme titre de transport ? « Je pense que c’est absurde ce que pensent les passagers. Moi je ne peux pas comprendre que quelqu’un qui doit payer une place de 200 Fcfa me remet 2000 Fcfa et réclame automatiquement sa monnaie souvent même avec des mots déplacés ; moi j’appelle cela de la provocation. Pour régler ce genre de cas, nous sommes obligés d’associer tous ceux à qui ont doit de la monnaie, pour qu’ils se débrouillent ». Cette option est appelée dans leur jargon « association », c'est-à-dire mettre en commun les passagers auxquels l’apprenti doit de la monnaie, en leur remettant la globalité de la créance qu’ils doivent diviser entre eux. Là aussi naissent souvent des désaccords. « Vous allez dans quelle direction ? Moi je vais à Treichville. Mais achète quelque chose pour avoir les jetons, parce que moi je suis pressé. Et toi-même tu ne payes rien ? Donnes- moi le billet, je vais chercher la monnaie », c’est une conversation entre trois passagers, allant dans différentes directions, qui doivent chacun diviser la somme de 1000Fcfa. L’un d’eux a droit à 700 Fcfa comme monnaie, 200Fcfa pour l’autre et 100 Fcfa pour le troisième. Personne ne veux encore dépenser ne serait ce que 100 Fcfa pour ne pas être en cours d’argent pour la suite du trajet. Ces scénarii qui se répètent régulièrement à Adjamé non loin de l’agence Cie ou encore l’ex cinéma Liberté, virent parfois aux pugilats. En partance pour son lieu de travail Joseph. K a dû trimer pendant 30 minutes avant d’avoir un taxi wôrô wôrô de la ligne liberté-Mairie d’Adjamé. La cause, il n’avait pas 250Fcfa à défaut 50 Fcfa pour faciliter la monnaie. Sur cette ligne, les chauffeurs exigent aux clients 250 Fcfa. Si vous avez un billet de 1000 Fcfa ou 500 Fcfa, ils vous demandent d’ajouter la pièce de 50 Fcfa. A la Société de transport abidjanaise, notamment les le bateau-bus, le titre du transport qui ne coûte que 150Fcfa, est parfois difficile à assurer. Là encore un problème de monnaie se pose. Les passagers par ruse essaient de payer deux tickets de 150 Fcfa avec un billet de 500Fcfa, tout en récupérant les petites monnaies d’autres passagers. Certains, très pressés, remettent 200Fcfa au guichet, en se mettant à l’idée qu’il n’y aura certainement pas de monnaie de 50Fcfa à leur remettre. D’autres pour le besoin de monnaie, achètent des bonbons pour en avoir. A la gare de bateau bus d’Abobodoumé, un quartier d’Attécoubé, mais de l’autre côté de la lagune Ebrié, un vendeur de bonbons, voyant la difficulté des passagers, propose « trois bonbons à 100FcFa », moyennant de la monnaie « prends tes trois bonbons on va se laisser », clame –t-il. Un appel à tous ceux qui sont à la recherche de monnaie pour se procurer un ticket. Kamagaté Issouf
issouf.kamagate@fratmat.info
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Finances : Où va la petite monnaie ? Si pour certains, les pièces de monnaies se font rares parce qu’elles se retrouvent dans les caisses des épargnants, la plupart des passagers se penchent plutôt vers la thèse selon laquelle toute la monnaie recueillie par les apprentis est reversée aux vendeuses ambulantes de mouchoirs, lotus, la cartouche chewgum etc. Et comme par enchantement, ces vendeuses sont prêtes à vous faire la monnaie dès que vous achetez avec 500 ou 1000 Fcfa un mouchoir au prix de 100 fcfa. Pour les sommes de 5000 et 10.000 Fcfa, elles acceptent de faire la monnaie en échange de mouchoirs payés. Mais actuellement, compte tenu de l’expansion de ces lotus dans tous les commerces, elles vendent désormais la cartouche de chewingum accompagnée de lotus pour les billets de 5000 et 10.000 Fcfa. Si vous avez 500 Fcfa ou encore 1000 Fcfa elles vous demanderont de prendre une cartouche de chewingum. Postées toujours à quelques mètres de l’agence de la Compagnie ivoirienne d’électricité (Cie) ces vendeuses toujours à l’affût entonnent toujours le même refrain, lorsque les gbaka venant de la commune de Yopougon stationnent pour faire descendre les passagers : « Ya lotus, 500, 1000 Fcfa il ya monnaie. 5000 Fcfa 10.000 Fcfa , il y a monnaie ». « Elles travaillent pour eux moyennant une commission. Lors de sa descente, l’apprentis remet discrètement sa recette, constituée essentiellement de pièce de 50Fcfa, 100Fcfa, 200Fcfa ou de 500Fcfa », c’est un circuit fermé, lance Tra-Bi vendeur de gingembre. Hormis la complicité entre apprentis et commerçants, la monnaie se vend dans plusieurs commerces. Des quidams en ont fait leur business. Ainsi la monnaie est vendue en raison d’une commission de 5 à 10%. Si vous échangez 10.000 en pièce, vous aurez à payer 500Fcfa. Mais ceux qui s’adonnent à ce commerce réagissent : « Nous avons des personnes qui sont en contact direct avec les banquiers, qui nous alimentent. Eux aussi nous imposent des commissions de 2.5 à 5% », s’explique Fantamory, un autre vendeur.
K.I
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Le commerce de nouveaux billets : Un autre « deal » des abidjanais Salif Ouattara- c’est le nom qu’il nous a donné- s’est fait une réputation dans l’échange des billets « fatigués » ou usés en billets neufs. « A partir de mardi et mercredi, notre affaire commence à prospérer à cause des mariages coutumiers chez les malinkés. Ceux qui viennent nous voir veulent aller faire des dons aux griots au cours des cérémonies de mariage ou même de baptême. Parfois lorsqu’il y a un concert d’artistes renommés, les gens viennent nous voir pour échanger leur billet. Qu’il remettra à l’artiste lors du concert ». Indique Salif. A la question de savoir combien gagne-t-il dans ce business, il répond : « Une chose est sûr on se défend molo molo » pour dire qu’il s’en sort un peu. Les personnages comme Salif, on en trouve tous les jours aux alentours de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao), à l’angle de la banque. A la criée, ils offrent leur service au plus intéressés. « Certains cadres nous visitent ici. Ce n’est pas seulement pour les cérémonies de mariage, baptêmes ou concerts, certaines personnes aiment avoir des nouvelles liasses de billets dans leur poche », fait entendre K.M.
Kamagaté Issouf
issouf.kamagate@fratmat.info