Pilier du parti d’Henri Konan Bédié, Jeannot Ahoussou-Kouadio milite pour une alliance avec celui d’Alassane Ouattara au sein d’une formation unifiée. Mais le président du tout nouveau Sénat sera-t-il entendu ?
Qu’il était fier, ce 12 avril, assis dans son fauteuil pourpre. Tout ce que la République comptait de hautes personnalités avait garni les rangs de l’amphithéâtre de la fondation Félix-Houphouët-Boigny, à Yamoussoukro. En ouvrant la première session du Sénat ivoirien dans cet édifice moderniste, Jeannot Ahoussou-Kouadio abaissa son marteau de président avec l’hésitation des premières fois.
Un mois plus tard, ce n’est pas dans la capitale administrative mais dans l’annexe abidjanaise du Sénat que « JAK » – les initiales sont brodées sur sa chemise – nous reçoit, un jour de mai orageux. Affable, il est persuadé que cette nouvelle institution, dont l’utilité demeure un mystère aux yeux d’une majorité d’Ivoiriens, est une avancée démocratique. « Le Sénat doit aider à produire des lois de qualité, moins “confligènes”. Il y a un travail d’information à mener pour dissiper les appréhensions », dit-il, chaussé de reluisants mocassins à glands.
Les tensions RDR – PDCI déjà au Sénat
Installée en grande pompe, la deuxième chambre n’est toutefois pas entièrement fonctionnelle : les organes qui doivent la composer n’ont pas encore été créés, et un tiers des sénateurs attendent toujours d’être nommés par le chef de l’État. « Le règlement intérieur devrait être adopté à la fin du mois de mai, précise Ahoussou-Kouadio. Les différents organes, tels que les groupes parlementaires, seront ensuite mis en place. »
L’ancien ministre d’État auprès du président, chargé des Relations avec le Parlement et les institutions, sera alors confronté à une première difficulté : Henri Konan Bédié refuse pour le moment que les sénateurs du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) qui ont été élus sous la bannière du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) forment un groupe parlementaire commun avec ceux du Rassemblement des républicains (RDR), comme le souhaite Alassane Ouattara. Ahoussou, qui aime arrondir les angles, risque d’avoir du pain sur la planche.
« Même l’Église est parvenue à changer, alors pourquoi pas le PDCI ? » interroge Jeannot Ahoussou-Kouadio
Ces derniers mois, l’alliance entre le chef de l’État et Bédié a sérieusement tangué, et Ahoussou-Kouadio fait partie de ceux qui font tout pour maintenir le bateau à flot. Pilier du PDCI mais fidèle partisan du RHDP, il estime que l’ancien parti unique doit intégrer la formation unifiée, et que c’est en son sein que le candidat à la présidentielle de 2020 doit être désigné.
« Le président Henri Konan Bédié a signé le 12 avril un accord politique en ce sens. Puisqu’il a donné cette ligne, il faut la suivre. Même l’Église est parvenue à changer, alors pourquoi pas le PDCI ? » Et que fait-il de cette promesse d’alternance en 2020, qu’Alassane Ouattara aurait faite à son aîné ? « S’il y a eu promesse, créons la confiance avec nos frères du RDR pour qu’elle puisse être tenue. Ce n’est pas dans l’affrontement que l’on y parviendra. »
Self-made man
Ahoussou-Kouadio ne le dit pas, mais il éprouve une certaine amertume à l’égard de son parti. D’abord parce qu’il estime n’avoir aucune leçon de fidélité à recevoir. « On se connaît tous. On sait qui ne voulait plus entendre parler de Bédié en 2000. Nous avons défié les armes du général Robert Gueï [qui a renversé Bédié en 1999], nous n’avons pas fléchi. Alors lorsqu’on dit que je suis un traître, je ris ! »
Contrairement à la majorité des ténors du PDCI, Ahoussou-Kouadio ne vient ni de la haute administration ni d’une grande famille. « Il s’est fait à la force du poignet et a gravi tous les échelons. Il a été de ceux qui rangeaient les chaises à la fin des réunions du parti », rappelle l’un des stratèges du PDCI.
« Ahoussou-Kouadio fait partie des rares qui se sont exposés pour défendre Bédié. Cela a été son tremplin »
Le nouveau président du Sénat aime rappeler à ses détracteurs que sa première rencontre avec Bédié remonte à 1976 : inscrit en faculté de droit à Abidjan, militant au sein du Mouvement des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (Meeci), Ahoussou-Kouadio et quelques autres étudiants sont reçus trois jours durant à Daoukro. Bédié, qui est à l’époque ministre de l’Économie, leur offrira même un dîner dansant. Un an plus tard, Ahoussou-Kouadio bénéficie d’une bourse et part étudier à Rennes, dans l’ouest de la France. Avocat au barreau d’Abidjan à partir de 1981, il poursuit son militantisme en mobilisant les juristes proches du PDCI.
Quand survient le coup d’État du 24 décembre 1999, Ahoussou-Kouadio quitte la Côte d’Ivoire et gagne le Ghana par la lagune. À Accra, il retrouve un Bédié sonné, venu de Lomé s’entretenir avec Jerry Rawlings, le président ghanéen. « J’étais furieux ! J’ai dit à Bédié que je serais son soldat et travaillerais à son retour. Notre amitié s’est renforcée dans cette épreuve. » « L’explosion des années 2000 l’a révélé, confirme un homme d’affaires proche du PDCI. Il fait partie des rares qui se sont exposés pour défendre Bédié. Cela a été son tremplin. »
Trait d’union Ouattara – Bédié
Les choses se compliquent au sortir de la crise postélectorale. Directeur de campagne d’Alassane Ouattara lors du second tour de la présidentielle de 2010, Ahoussou-Kouadio est récompensé en devenant Premier ministre en mars 2012. L’expérience tourne court. Peut-être pas encore prêt, Ahoussou-Kouadio semble dépassé par les événements.
Agacé, le président le limoge au bout de huit mois. « Ce n’était pas évident. Il y avait des problèmes sécuritaires, et je n’étais pas militaire, se souvient l’intéressé. Et puis, en juillet 2012, au moment des attaques de Nahibly, mon parti a pondu un communiqué m’interpellant – ainsi que le chef de l’État –, sans même me consulter. J’ai senti ce jour-là que je n’avais plus le soutien du PDCI. »
Cet épisode, Ahoussou-Kouadio ne l’a pas digéré. Ce passage raté à la primature donna un brutal coup d’arrêt à son ascension et demeure une tache sur le CV de ce franc-maçon qui aspire à plus que le Sénat. Car, à 67 ans, il espère encore se faire une place sur un ticket RHDP pour la présidentielle de 2020.
Conscient que l’électorat baoulé sera déterminant, il s’efforce, dans un contexte politique explosif, de soigner son image d’homme de dialogue capable d’absorber les contradictions. Il veut être une sorte de trait d’union entre Ouattara et Bédié, un rôle plutôt attribué ces derniers temps à Patrick Achi, le secrétaire général PDCI de la présidence.
Inspiration Macron ?
Dans l’entourage du président, on pense qu’il est de ceux qui peuvent faire évoluer le rapport de force interne au PDCI. « Quand les relations entre Bédié et Ahoussou-Kouadio se sont légèrement détériorées, Ouattara a poussé son Premier ministre à mettre de l’eau dans son vin », assure un membre du gouvernement qui le connaît bien.
S’il n’est plus aussi proche du Sphinx de Daoukro que par le passé, Ahoussou-Kouadio conserve un accès privilégié auprès de celui qui fut son parrain politique. « Comme [le vice-président] Daniel Kablan Duncan, il est l’un des pions de Bédié, qui préfère tenir deux fers au feu, explique un baron du PDCI. Il laisse toutes les opinions s’exprimer pour voir de quel côté la balance va pencher »
« Bédié sait déjà ce qu’il veut. Avec lui, il faut savoir lire entre les lignes et sentir les nuances. Aujourd’hui, il ne parle plus de PDCI-RDR, mais de RHDP. Il y a une évolution, c’est un nouveau schéma de réflexion»,estime le président du Sénat.
Ahoussou-Kouadio, qui, en privé, exprime parfois des doutes quant à la capacité du PDCI à proposer un projet de société aux Ivoiriens, souhaite que son parti se réunisse en congrès pour «savoir ce que veut la base et clarifier le débat sur le parti unifié». Et, si le PDCI refusait finalement de rejoindre le RDR , il saurait déjà pour quel camp opter, semble-t-il:«Je suis pour tout ce qui rassemble. Mon hymne national est au-dessus de celui de mon parti. En France, Emmanuel Macron a su rassembler pour un idéal, et les formations nostalgiques de leur idéologie primaire ont quasi disparu. Le RHDP unifié doit s’en inspirer.»
Qui contrôle l’électorat baoulé ?
Sa mère n’est pas baoulée, mais Jeannot Ahoussou-Kouadio s’est depuis longtemps positionné comme le principal défenseur de ce peuple. Pendant la crise, dès 1999, il était sur le terrain, sillonnant les villages du centre et de l’ouest de la Côte d’Ivoire. Depuis 2010, il dirige l’Association des élus et des cadres PDCI du Grand Centre (AEC-GC) et s’est rapproché de la reine Monique Nanan N’Ga Tanou. C’est lui qui, enfin, a fait de « Paquinou » – les fêtes de pâques en pays baoulé – une véritable institution aux accents politiques.
Mais la bataille pour le contrôle de l’électorat baoulé, traditionnellement acquis au PDCI et qui sera l’un des éléments clés de la présidentielle de 2020, a déjà commencé. Dans sa volonté de restructurer son parti, Henri Konan Bédié a fait émerger de nombreux cadres baoulés, comme s’il voulait émietter l’électorat et empêcher qu’une personnalité sorte du lot. « Aujourd’hui, des gens comme Charles Konan Banny, Charles Koffi Diby, Jean-Claude Kouassi, Niamien N’Goran ou Rémi Allah Kouadio sont tous très influents dans leurs zones respectives », note un fin connaisseur du PDCI. Le Sphinx de Daoukro a également effectué une visite très symbolique au Ghana à l’invitation du roi des Ashantis, issus comme les Baoulés du groupe akan. « C’était un moyen de se positionner en protecteur d’un électorat très attaché à ses traditions, analyse notre source. S’éloigner de Bédié, c’est prendre le risque de perdre le vote akan. »