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L'éventualité d'un 3 ème mandat sous l'angle strictement juridique(2ème partie)


J'avais dit dans ma première livraison, qu' « en l'absence de dispositions spéciales portant sur l'éligibilité dans la nouvelle Constitution, la règle est théorique. C'est le principe de la continuité de l'État qui s'applique » (1). En effet, lorsqu'une nouvelle Constitution entre en vigueur, certaines dispositions de l'ancienne Constitution subsistent. Elles continuent à produire des effets juridiques en attendant l'application de la nouvelle norme. Le meilleur exemple dans le cas qui nous occupe est la validité du mandat présidentiel en cours, au moment de son entrée en vigueur. On ne se débarrasse jamais de manière totale, des sédiments de l'ancien ordre juridique; dont hérite le nouvel ordre qui lui succède. Il n'y a pas de table rase intégrale du passé. Il existe un cordon ombilical, des passerelles, des amortisseurs et une forme de superposition dans le temps (généralement sur un court période) dont les modalités sont organisées par la norme transitoire pour assurer le continuité de l'État sans bouleversement et sans friction. C'est la règle de la continuité de l'État. Les dispositions transitoires ont pour vocation à remplir un double rôle : organiser la rupture entre l'ancienne norme et la nouvelle norme et garantir la sécurité juridique. Dans le cas général la norme ancienne bénéficie en quelque sorte d'un sursis à l'issue duquel elle disparaît de l'ordonnancement juridique au profit de la nouvelle norme qui n'a pas pu bénéficier des effets de l'application immédiate de celle-ci. On pourrait donc dire que les deux normes ne se heurtent pas et ne rentrent pas en confrontation, grâce au régime transitoire qui organise leur coexistence harmonieuse. Par analogie, on retrouve cette même logique de césure en matière pénale avec la notion de rétroactivité, qui s'oppose à la prétention du bénéfice d'une norme nouvelle, pour des faits qui sont antérieurs à son apparition. Son principe dérivé est la continuité législative, en ce qui concerne les lois. J'ai dit également qu'en droit, il y a le principe général et l'exception, et promis de traiter ce second volet de la question ultérieurement. C'est à cet exercice que nous allons nous prêtés dans cette deuxième partie, au plan intellectuel et citoyen, en précisant avec insistance, d'une part que c'est une question de spécialité pour laquelle nous n'avons pas compétence, d'autre part, que « nous ne sommes pas l'interprète de la Loi et ne sommes pas chargés de sa mise en ouvre » (1).

La question juste et rationnelle est : que dit exactement les textes ? Il ne s'agit ni d'opinion, ni de réaction, encore moins de sentiment et de souhait, mais de faits. Dès lors, notre problématique sera essentiellement concentrée sur le régime transitoire, qui régule l'entrée et la sortie des ordres dans la vigueur. Aussi, toute défectuosité dans sa qualité (précision, clarté, fidélité, réalisme, encrage dans le contexte et dans le temps) ou omission de sa part, pourrait laisser perplexes les citoyens avec pour conséquence négative de conforter la méfiance à l'égard des institutions (Président de la République et Conseil Constitutionnel). Le régime transitoire a pour fonction d'assurer en amont la résolution des conflits qui pourraient apparaître dans le temps, du fait de l'existence de deux normes contradictoires, et de traduire fidèlement la volonté populaire qui s'est exprimée. Nous reviendrons sur ce dernier point qui apparait comme prépondérant dans notre analyse.

Nous avons pu constater que l'édiction d'une norme et son application effective sont deux moments distincts. A supposer par exemple, que la nouvelle constitution édictait une durée de 7 ans,, renouvelable une fois, pour le mandat présidentiel, le mandat du Président Ouattara, étant né avant l'apparition de cette nouvelle norme, ne pourrait en prétendre au bénéfice. À l'inverse, si la nouvelle norme édictait que le mandat présidentiel avait une durée de 4 ans, cette limitation ne pourrait pas s'appliquer également au mandat du Président Ouattara en cours, parce que formé sous le régime de l'ancienne norme. Que constatons nous donc aujourd'hui ? Il n'existe aucun conflit entre la norme ancienne et la nouvelle norme. L'ancienne norme aura produit tous ses effets en 2020 dans la conformité avec ses propres termes (durée et renouvellement du mandat). Dès lors, elle disparaît de l'ordonnancement juridique pour céder la place à la norme nouvelle. Or, celle-ci n'édicte pas dans ses conditions d'éligibilité et d'inéligibilité, ni que les personnes ayant bénéficiées précédemment de deux mandats, ne sont pas éligibles, ni qu'il est impossible pour une même personne d'assurer successivement sans discontinuité, plusieurs mandats au-delà de deux mandats. Il n'y a donc aucun rapprochement direct entre les deux normes sous cet angle. Cependant qu'en est-il dans le régime transitoire ?

Il existe plusieurs théories pour résoudre les conflits qui peuvent surgir lorsque deux normes portant le même objet, entrent en compétition ou s'excluent mutuellement. Or, on n'est pas en face d'un conflit entre normes, ni en face d'une rupture brutale des normes. Dès lors, le régime transitoire n'a pas jugé utile d'organiser la succession des normes, considérant qu'il sortait du champ traditionnel de son rôle. Cependant, il peut lui être reproché d'avoir omis de le faire, car il aurait pu ou du préciser, c'est selon, par exemple, que compte tenu que le mandat présidentiel issu de l'ancienne norme a été renouvelé, dans des termes identiques à celles de la nouvelle norme, qui prévoient toutes les deux la même limitation, il sera considéré exceptionnellement que celui-ci ayant consommé le bénéfice des dispositions de l'ancienne norme, qu'il ne serait pas équitable et conforme à la volonté populaire, qu'il puisse en bénéficier une seconde fois au titre de la nouvelle. Dès lors, la limitation prévue dans la nouvelle norme, s'applique à lui dans les mêmes conditions que l'ancienne. Peu importe la formulation ou la terminologie utilisée, c'est la portée qui compte ici.

En l'absence de telles dispositions expresses, le Président Alassane Ouattara a, à priori, parfaitement raison, de déclarer que la nouvelle Constitution l'autorise à se présenter à un nouveau mandat, dans le sens qu'elle ne s'oppose pas à une nouvelle candidature de sa part. Cette approche de la question est soutenue par la théorie selon laquelle la norme la plus récente abroge la plus ancienne. Dès lors, il n'y a plus renouvellement de mandat, mais nouveau mandat.

En réalité, les choses ne sont pas aussi simples. Était-ce la traduction fidèle de la volonté populaire qui s'est exprimée lors du Référendum ? À priori oui, puisque la nouvelle Constitution a été soumise à la Nation exactement en ces termes pour son approbation. Dès lors, la nouvelle Constitution est réputée être le reflet fidèle de la volonté du peuple. Ce qui implique tacitement la volonté que le Président sortant puisse se présenter à nouveau au titre de la nouvelle Constitution. Alors où est le problème ? Si le conflit n'est pas de nature juridique et à quoi tient il ? Le consentement du peuple n'était pas suffisamment éclairé et il ne lui a pas été donné le temps matériel de s'imprégner suffisamment du texte Constitutionnel. Le débat sur son contenu n'a pas eu lieu (celui-ci a plutôt porté sur son opportunité et ses modalités d'élaboration), et sa diffusion préalable a été très faible. De ce constat peut légitiment se déduire à postériori, une manouvre politicienne que je me suis personnellement refusé à concevoir dès le départ, bien que j'ai alerté sur ce risque en son temps.

. La société Ivoirienne évolue. Ses exigences sont de plus en plus fortes. Il n'est ni dans l'intérêt des gouvernants qu'un discrédit général frappe les institutions, ni dans celui des gouvernés que l'insécurité gouverne les rapports juridiques. Il n'est pas bon non plus que la Constitution soit toujours au cour des crises en Côte d'Ivoire (insuffisance de clarté, subsistance de conflit entre les normes, pièges et volonté politique d'instrumentalisation). En conséquence, la Constitution et les lois qui en découlent pour en assurer l'expression, doivent avoir pour vocation première d'enregistrer et de traduire la volonté nationale, en l'encadrant et en la codifiant fidèlement, pour éviter de renforcer le fossé entre la société politique et le peuple ou de creuser davantage le décalage entre la mentalité ou l'opinion majoritaire de la société et les lois qui la gouvernent. Pareille situation ne peut que déboucher sur des tensions sociales et politiques que le droit ne sera plus en mesure de résorber, en raison des inadéquations précitées. Mais alors pourquoi présumer de la volonté populaire ? Comment la mesurer et l'exprimer, sinon en lui donnant à nouveau la parole en 2020, pour lui permettre de préciser sa volonté dans l'urne. Si le peuple ivoirien dans sa majorité veut du Président Ouattara il votera pour lui, s'il n'en veut plus, il ne votera pas pour lui. Le suffrage universel étant la seule source du pouvoir, et non le Droit. Mais est-il sage et avisé pour lui de se représenter (déclarations antérieures, limite naturelle d'âge, préparation de la relève, méprise populaire sur le sens des subtilités de la nouvelle Constitution, rapport de force démocratique, paix sociale) ?

CONCLUSION

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