Début 2017, le gouvernement ivoirien annonce qu'il envisage de porter la production pétrolière nationale à 200 000 barils par jour, d'ici à 2020. Celle-ci est alors d'environ 45 000 barils par jour et vient d'enregistrer une croissance historique de 42,80% par rapport au volume extrait en 2015. Le projet est ambitieux. Mais le gouvernement semble négliger la morosité du marché qui prévaut et qui offre très peu d'options d'investissement aux compagnies d'exploration. Deux ans plus tard, en décembre 2018, le marché pétrolier n'est toujours pas au meilleur de sa forme et la production journalière atteint péniblement 34 000 barils par jour. La Côte d'Ivoire voit son rêve pétrolier s'éloigner.
Une succession de politiques pétrolières incohérentes
En 2000 et 2010, le régime du président Gbagbo a attribué 14 blocs d'exploration à des firmes étrangères. Pendant cette période, seulement cinq forages ont été opérés sur la zone, tandis qu'au même moment, des pays comme le Congo ou encore la Guinée Equatoriale en comptaient respectivement 25 et 45.
Pourtant le potentiel pétrolier du pays n'est plus à démontrer. L'offshore ivoirien s'étend dans une zone du Golfe de Guinée qui attire de plus en plus les investisseurs, comme au Ghana voisin. Des observateurs ont longtemps reproché à l'ancien régime son manque d'ambition pour promouvoir l'offshore. Il faut dire que les énergies étaient essentiellement tournées vers le cacao ou encore l'anacarde, principaux produits d'exportation du pays. D'ailleurs, le pétrole ne représentait que 3% du PIB et moins de 15% des exportations du pays.
En août 2011, Adama Toungara, le ministre du pétrole du premier gouvernement d'Alassane Ouattara a durement critiqué la politique pétrolière de l'ancien régime en pointant du doigt son manque de vision. « La Côte d'Ivoire a octroyé des permis à des sociétés qui n'ont ni la compétence technique, ni la capacité financière d'explorer », avait-il martelé, annonçant qu'il fera « en six mois ce qu'on n'a pas fait en dix ans ».
« La Côte d'Ivoire a octroyé des permis à des sociétés qui n'ont ni la compétence technique, ni la capacité financière d'explorer », avait-il martelé, annonçant qu'il fera « en six mois ce qu'on n'a pas fait en dix ans ».
Un changement de paradigme qui fera de la Côte d'Ivoire « une puissance pétrolière sous régionale, même si le pays ne sera pas un Koweït africain ». Il promet de passer la production de 40 000 barils à 300 000 b/j à l'horizon 2020, soit 9 ans pour multiplier la production par 7,5. Très ambitieux.
En 2011, Adama Toungara promet de faire de la Côte d'Ivoire « une puissance pétrolière.»
Adama Toungara choisit alors de s'appuyer sur le modèle ghanéen qui a enregistré l'une des plus belles success story de l'industrie, ces dernières années. Le Ghana a lancé sa production en 2010 et un an plus tard, il produisait plus que la Côte d'Ivoire. Ses perspectives de production le placeront parmi les cinq plus grands producteurs du continent en 2020.
2012 : le gouvernement fonde de grands espoirs sur géant russe Lukoil.
En avril 2012, la Côte d'Ivoire adopte un nouveau code pétrolier, puis réussit à convaincre le géant russe Lukoil, en octobre 2012, sur le bloc CI-524. On signale alors quelques découvertes éparses en eaux profondes. Entre autres, on peut citer celle de Tullow dans le permis d'exploration CI-103 ou encore celle du puits Kosrou-1, dans le bloc CI-105 par Tullow et l'Américain Anadarko.
Toutefois, les résultats peinent à se confirmer, les gros investisseurs ne se ruent pas vers l'offshore ivoirien et laissent la place à des juniors comme Vanco ou le Canadien CNR.
Changement d'objectif de production
Ayant compris que le niveau de production promis ne sera pas atteint, le gouvernement revoit à la baisse ses ambitions. En janvier 2013, Ibrahima Diaby, le directeur des hydrocarbures au ministère du pétrole annonce que le niveau de production désormais visé est de 200 000 b/j à atteindre en 2020.
En janvier 2013, Ibrahima Diaby, le directeur des hydrocarbures au ministère du pétrole annonce que le niveau de production désormais visé est de 200 000 b/j à atteindre en 2020.
Pour y arriver, les autorités déroulent le tapis rouge à Exxon Mobil en 2014. La plus importante société pétrolière américaine signe deux accords de partage de production (PSC) avec l'Etat de la Côte d'Ivoire sur les blocs pétroliers CI-602 et CI-603 situés en eaux ultra-profondes. Cet accord porte à 22 le nombre de PSC signés par le gouvernement depuis 2011. La société texane, pionnière de la recherche d'hydrocarbures dans le pays, marque ainsi son retour en Côte d'Ivoire après 32 ans d'absence, cette fois-ci avec de grosses ambitions.
Aucune des quelques découvertes annoncées ces trois dernières années, n'a véritablement fait l'objet d'un plan de développement, ne serait-ce qu'à petite échelle.
Un communiqué de l'agence ivoirienne de presse indique qu'Exxon prévoit d'investir 400 millions de dollars, rien que dans la première phase d'exploration de ces deux périmètres. Derrière, le gouvernement harangue les explorateurs. En avril, Total signale la découverte, dans le puits Saphir-1XB du bloc CI-514, d'un nouveau « gisement prometteur ». Il faut dire que jusqu'ici, aucune des quelques découvertes annoncées ces trois dernières années, n'a véritablement fait l'objet d'un plan de développement, ne serait-ce qu'à petite échelle.
Un point d'achoppement
En janvier 2017, à son arrivée à la tête du ministère de l'Energie, le banquier Thierry Tanoh réitère l'objectif national des 200 000 barils par jour en 2020.
En 2017, Thierry Tanoh succède à Adama Toungara et confirme l'objectif de 200 000 barils par jour en 2020.
Le nouveau ministre promet de redynamiser le secteur de l'Energie avec, quelques mois plus tard, l'annonce de la construction d'une unité de regazéification de GNL qui aura une capacité de 3 Mtpa. Le projet était prévu pour démarrer au second semestre de 2018. Mais les négociations sur le prix d'achat du gaz par le gouvernement constituent un point d'achoppement depuis plus d'un an.
Pour finir, M. Tanoh est limogé le 10 décembre 2018. D'après des précisions du magazine français Jeune Afrique, le responsable aurait payé le prix des « objectifs non atteints ». Pour des sources proches du gouvernement, c'est plutôt la conséquence logique de la brouille survenue récemment entre Henri Konan Bédié, le président du PDCI (formation politique à laquelle appartient Tanoh) et le président Ouattara. M. Tanoh lui-même aurait souhaité partir afin de se battre dans son camp contre le parti au pouvoir, lors des élections présidentielles de 2020.
Quoiqu'il en soit, Thierry Tanoh aura tout de même réussi à signer cinq nouveaux blocs offshore (CI-526, CI-602, CI-603, CI-707 and CI-708) à un consortium composé de Kosmos Energy et de BP, et deux nouveaux blocs d'exploration (CI-524 en offshore et le bloc onshore CI-520, situé non loin d'Abidjan), à la compagnie indépendante britannique Tullow Oil.
La frontière maritime avec le Ghana ou le jackpot envolé
Outre l'ouverture de l'offshore au marché, les rêves de la Côte d'Ivoire d'atteindre une production de 300 000, puis 200 000 b/j de pétrole ont longtemps été motivés par l'éventualité de gagner un territoire maritime riche en pétrole, disputé au Ghana depuis 2009. En effet, la zone concernée revêt un intérêt stratégique pour les deux pays. 2 milliards de barils de pétrole évoqués. Des ressources probables de 240 millions de barils de pétrole récupérables et de 60 millions barils équivalent pétrole de condensat.
La zone offshore, objet du conflit.
C'est surtout une extension de la zone d'exploitation Tweneboa-Enyenra-Ntomme (TEN), contrôlée par la compagnie britannique Tullow Oil qui génère du brut et du gaz qui sert à alimenter les centrales thermiques ghanéennes.
La Côte d'Ivoire estimait détenir un droit exclusif d'exploitation des hydrocarbures dans la zone offshore, objet du conflit, à partir du moment où Tullow Oil a fait part de sa volonté d'y étendre ses projets d'exploration pour le compte du Ghana.
L'enjeu sur place était de taille pour la Côte d'ivoire, un jugement en sa faveur aurait garanti l'atteinte, sans véritablement investir, des 200 000 barils par jour de pétrole.
L'enjeu sur place était de taille pour la Côte d'ivoire, un jugement en sa faveur aurait garanti l'atteinte, sans véritablement investir, des 200 000 barils par jour de pétrole.
Finalement, après huit ans de bataille judiciaire devant le tribunal international du droit de la mer (TIDM), en septembre 2017, c'est le Ghana qui remporte le périmètre. Selon la décision des juges, le Ghana n'a pas violé les droits souverains de la Côte d'Ivoire en engageant des travaux d'exploration pétrolière à la frontière maritime qui les sépare. Ce jugement traduit une déception colossale et la remise en question des objectifs pétroliers de la Côte d'Ivoire.
Face à ce revers de taille, la Côte d'Ivoire doit redéployer davantage d'énergie pour élaborer de meilleures politiques d'exploration et de donner un nouveau coup d'accélérateur à sa production qui, sur les 9 premiers mois de l'année en cours s'est limitée à une moyenne de 34 084 b/j, en raison de nombreux travaux d'exploration sur les champs producteurs.
Olivier de Souza