Grand absent du Congrès constitutif du RHDP, organisé samedi à Abidjan par le président Alassane Ouattara, le président de l'Assemblée nationale contre-attaque et reprend l'initiative en se lançant dans la campagne présidentielle. Il nous révèle sa stratégie et son calendrier. Confidences.
Propos recueillis à Abidjan par Bruno Fanucchi
On le croyait marginalisé et pratiquement « hors course », mais il s'apprête à rebondir de manière spectaculaire. Guillaume Soro, qui fut longtemps le dauphin présumé et naturel de l'actuel chef de l'Etat ivoirien, a accepté de rencontrer jeudi dernier au Palais le président Alassane Ouattara qui voulait encore le convaincre de s'afficher à ses côtés et de venir ce samedi au Stade Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan pour le Congrès constitutif du RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix) se transformant en parti unique autour du président sortant lorgnant un troisième mandat. Mais le président de l'Assemblée nationale a diplomatiquement décliné l'offre et a décidé de tracer sa route.
Au soir même du « grand show médiatique » organisé par le pouvoir, il me reçoit chez lui, à son domicile de Marcory, plus déterminé que jamais à se lancer dans la campagne présidentielle. Econome de ses propos qu'il ne veut surtout pas galvauder et dévaluer, l'homme parle peu et se fait rare dans les médias. Mais quand il se lâche, ça décoiffe ! « Je serai candidat en 2020, je suis dès à présent candidat, ce n'est plus négociable ! ». Rencontre exclusive.
Guillaume Soro ne s'en laisse pas compter et sait reprendre la main. On ne lui impose pas un agenda politique qui n'est pas le sien. Ses ambitions de briguer la magistrature suprême en octobre 2020 sont connues de tous depuis bien longtemps, c'est un secret de Polichinelle, mais il a défini pour cela une stratégie et a décidé d'aller à son rythme. Conscient du poids qu'il représente au sein de la jeunesse ivoirienne qui rêve de changement, le président Ouattara voulait le convaincre de rallier le RHDP pour mieux le faire rentrer dans le rang, mais Soro reste un « rebelle » par nature. Il s'en explique posément : « Je suis plutôt de gauche et je n'ai jamais été Houphouëtiste. Je ne suis pas de leur parti, le RHDP. Ce samedi, je n'avais donc rien à y faire ». C'est clair, net et précis. Ce samedi, il a donc observé de loin toute cette agitation et fébrilité politique et lâche pour seul commentaire : « Abidjan compte plus de 5 millions d'habitants et le stade ne contient que 33.000 places... ».
"Comme Macron en France, on va renverser
les tables et les chaises en Côte d'Ivoire"
« Lors de notre dernier entretien, le président Ouattara m'a approuvé et m'a dit que tout le monde pouvait se porter candidat au sein du RHDP, mais ces primaires ne m'intéressent pas. Je vais me lancer sous mes propres couleurs », ajoute-t-il, en faisant implicitement allusion aux deux principaux atouts qui ont permis à Emmanuel Macron de créer la surprise et d'être élu président en mai 2017. Deux atouts majeurs qu'il a en commun avec lui : la jeunesse et la volonté de changer les règles du jeu. « Comme Macron en France, on va renverser les tables et les chaises en Côte d'Ivoire, bousculer la classe politique vieillissante et changer de génération politique », assure-t-il, car « pas un seul Ivoirien ne veut revivre en 2020 le scénario de 2010 avec Gbagbo, Bédié et Ouattara qui a dégénéré en guerre civile ». En deux mots : place aux jeunes !
« Changer de génération contribuera aussi à la réconciliation nationale », enchaîne-t-il en soulignant qu'il a été le premier à faire d'une véritable « réconciliation nationale » son cheval de bataille et un enjeu majeur du débat politique.
Concrètement, que va-t-il désormais se passer ?
« Mon épouse et mes enfants vont bien, me confie-t-il. Et je suis en pleine santé. C'est pourquoi je vais me lancer sans attendre dans la campagne. Tout est prêt, cela fait deux ans que je m'y prépare ».
Et quel sera le calendrier de cette entrée en campagne ?
« Conformément au vœu du chef de l'Etat, je vais remettre - sans doute début mars – ma démission de président de l'Assemblée nationale et remettre mon mandat en jeu », annonce-t-il en ajoutant avec un brin d'ironie: « Je serai fier bien sûr d'être réélu par mes pairs, mais quand les pouvoir exécutif et judicaire ne respectent plus l'immunité parlementaire en embastillant un député pour un simple tweet déplaisant au pouvoir, je ne suis sûr de vouloir rempiler et me retrouver à la tête d'une telle institution, dont les droits sont ouvertement bafoués ».
Allusion directe à l'emprisonnement d'un de ses proches, le député Alain Lobognon, jeté en prison le 15 janvier à la MACA (Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan), où il a d'ailleurs entamé une grève de la faim pour faire valoir ses droits. Cette « arrestation arbitraire » comme les enlèvements ou disparitions dont ont été victimes plusieurs de ses proches engagés dans la combat politique l'inquiètent bien évidemment car « ils témoignent d'une dérive fort préoccupante du pouvoir en Côte d'Ivoire ». Mais « ce sont des tentatives d'intimidation qui ne m'impressionnent pas et n'entament pas notre détermination politique, bien au contraire ».
"Je sonne la mobilisation générale
et nous nous mettons en ordre de bataille"
« Si je n'étais pas réélu à la tête de l'Assemblée, ce ne serait pas la fin du monde », observe-t-il avec une certaine philosophie. « Quoiqu'il en soit, je vais me lancer à fond dans la campagne pour la présidence de la République et espère bien être élu en 2020 dès le premier tour ! ». Le décor est donc planté. « J'ai d'ores et déjà des équipes partout sur le terrain qui sont en train de faire le diagnostic de tout ce qui marche et de tout ce qui ne marche pas dans le pays, le pays profond et le pays réel, et nous allons définir trois ou quatre projets structurants pour redonner à la Côte d'Ivoire toute sa grandeur retrouvée et son énergie, en assurant ainsi son développement économique et la paix sociale. Je ne veux surtout pas d'un catalogue de 150 belles promesses qu'aucun président ne tient jamais ». Référence à peine voilée à la promesse de François Hollande d'« inverser la courbe du chômage », promesse qu'il n'arrivera pas à tenir et qui le conduira à ne même pas oser se représenter à l'Elysée en 2017.
Soro, qui veut incarner une nouvelle génération politique, fait donc preuve de réalisme et de pragmatisme. « Que veulent les Ivoiriens ? », s'interroge-t-il. « Ils veulent avant tout plus de sécurité et un meilleur pouvoir d'achat. Mais pour faire redécoller le pays, il nous faut trouver des solutions innovantes ». Avant d'ajouter aussitôt : « Pour l'heure, nous nous mettons en ordre de bataille. Je sonne la mobilisation générale, je bats le rappel des troupes, je réunis tous mes fidèles car j'ai décidé de parcourir le pays de long en large pour aller – comme je l'ai déjà fait de nombreuses fois par le passé – à la rencontre du peuple de Côte d'Ivoire ». Et il en est persuadé : cette mobilisation des Soroïstes et ce long travail de terrain vont finir par payer.
« J'active également tous mes réseaux à l'international et veut garder un excellent contact avec Paris et bon nombre de chefs d'Etat africains qui me reçoivent ou que je rencontre régulièrement », enchaîne-t-il pour bien faire comprendre à tous qu'il a désormais une stature internationale qu'il peaufine depuis plusieurs années, grâce à la « diplomatie parlementaire » qu'il a initiée dès son élection à la présidence de l'Assemblé nationale en mars 2012, après avoir été cinq ans Premier ministre.
Dans quelques jours, le président Soro repartira d'ailleurs pour Paris, Bruxelles et les Etats-Unis. Une nouvelle tournée à l'étranger avant de se lancer à cœur perdu dans la campagne présidentielle dès le mois de mars car, ne cesse-t-il de répéter au cours de cet entretien impromptu et informel : « Je suis candidat et rien ne pourra m'arrêter. Ma décision est irrévocable. Y a-t-il un mot plus fort qu'irrévocable ? Je suis candidat, ce n'est plus négociable !