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Pierre Barthélémy

Des spermatozoïdes pour combattre le cancer ?


IL EN VA de la lutte contre le cancer comme de la guerre. A l'image des militaires, les oncologues cherchent à ne détruire que l'ennemi et pas les populations innocentes - à savoir les cellules saines qu'attaquent souvent, sans trop de discernement, les chimiothérapies. Depuis plusieurs années sont donc développées des stratégies ciblées : au lieu de noyer l'organisme sous un tapis de bombes, parachutons des commandos au niveau des cellules et tumeurs cancéreuses. D'où la recherche de vecteurs capables de transporter (sans les perdre en route) des charges médicamenteuses et de les larguer au bon endroit. Parmi ces livreurs de taille micrométrique (millionième de mètre) voire nanométrique (milliardième de mètre), on trouve déjà les liposomes, des nanocapsules qui renferment le principe actif mais présentent plusieurs inconvénients, notamment de le libérer sur des organes non visés ou d'avoir une pénétration limitée dans les tissus. D'autres approches sont à l'étude, qui impliquent par exemple des cellules sanguines (globules rouges ou blancs) ou des bactéries.

L'idéal serait de disposer d'une cellule naturelle auto-propulsée, bio-compatible (pour ne pas être détruite par le système immunitaire), capable d'emmagasiner à l'abri un anticancéreux sans en être affectée, de résister quelques jours dans l'organisme et d'entrer dans d'autres cellules. En réalité, vient de se dire une équipe allemande dans un article mis en ligne fin mars sur le site de pré-publications scientifiques arXiv- et qui n'a donc, pour le moment, pas fait l'objet d'une validation par les pairs -, cette cellule motorisée existe déjà : cela s'appelle un spermatozoïde. Le gamète mâle a le bon profil du transporteur-livreur amphibie : mobile et nageur grâce à son flagelle, disposant d'un espace de stockage protégé et capable de passer la membrane d'une cellule (c'est ce qu'il fait avec l'ovule). Ces chercheurs de l'Institute for Integrative Nanosciences de Dresde ont par conséquent testé l'idée de se servir de spermatozoïdes comme vecteur d'anticancéreux, en particulier dans le contexte pour lesquels ces cellules sont le mieux adaptées, les cancers de l'appareil reproducteur féminin.

Pour y parvenir, comme on peut le voir sur la photo ci-contre, ils ont mis au point une sorte de micro-harnais pour spermatozoïde, un tube terminé par quatre pattes (surnommé le « tétrapode » dans l'étude). Pourquoi un tel dispositif ? Le spermatozoïde a beau être une sorte de missile à tête chercheuse, il n'est pas vraiment capable de trouver tout seul l'endroit où se trouvent des cellules cancéreuses. Il faut donc le guider. Contenant du fer, ce harnais peut donc s'orienter en fonction du champ magnétique auquel on le soumet et servir de GPS au spermatozoïde qui l'a enfilé. Les scientifiques allemands ont testé tout leur protocole in vitro : ils ont fait baigner des spermatozoïdes de taureaux (dont la forme est semblable à celle de leurs homologues humains) dans un anticancéreux - la doxorubicine - dont ils se sont gorgés sans que cela les affecte particulièrement ; ils ont ensuite fait glisser les gamètes à l'intérieur de tétrapodes, dans lesquels leur tête reste bloquée par les pattes du harnais, alors que le flagelle s'agite librement à l'extérieur du tube ; ils ont mis le tout dans un récipient contenant des assemblages de cellules cancéreuses simulant une tumeur ; ils ont, à l'aide d'un champ magnétique, manouvré leurs petits missiles jusqu'à ce qu'ils rencontrent leurs cibles.

Ainsi qu'on le comprend à partir du schéma ci-dessus, lorsque ce système hybride parvient à destination et rencontre un tissu, la pression exercée sur les pattes du harnais oblige ces dernières à se plier et à s'écarter. S'ouvrant un peu à la manière des pétales d'une fleur, les pattes libèrent le spermatozoïde qu'elles coinçaient jusque là. Il peut donc aller au contact de la cellule-cible sur laquelle il vient d'atterrir. L'expérience met en évidence une efficacité contre les tumeurs meilleure que lorsque celles-ci baignent simplement dans la même dose de médicament, sans doute parce que le spermatozoïde est naturellement équipé pour entrer dans une cellule.

Pour les auteurs, ce travail montre que le concept fonctionne. Même si le spermatozoïde est ralenti par son harnais - sa vitesse est réduite de 43 % -, cela ne l'empêche pas de se déplacer efficacement. Le principe actif, quant à lui, à l'abri sous la membrane du gamète, est préservé des attaques du milieu extérieur. Les chercheurs soulignent que le procédé pourrait aussi être utilisé pour soigner d'autres pathologies de l'appareil reproducteur féminin comme l'endométriose ou la salpingo-ovarite, une inflammation des ovaires et des trompes de Fallope provoquée par une infection génitale. Néanmoins, l'expérience soulève aussi bien des questions. L'efficacité sera-t-elle la même in vivo ? L'organisme éliminera-t-il les harnais microscopiques sans dommages ? Comment contrôlera-t-on la dose administrée ? Devra-t-on prendre des spermatozoïdes humains ? Si oui, d'où viendront-ils ? Et surtout, si l'on passe un jour de l'expérimental au thérapeutique, comment s'assurera-t-on contre. les grossesses ?

Pierre Barthélémy


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