En soutenant la candidature de la ministre rwandaise Louise Mushikiwabo à la tête de l'OIF et en multipliant les effets d'annonce aux élites économiques et intellectuelles africaines, le président français Emmanuel Macron a mis le cap sur l’Afrique qui l’intéresse, celle qui gagne.
Édito. En soutenant, voire en suscitant, la candidature de la ministre rwandaise Louise Mushikiwabo au secrétariat général de l’Organisation internationale de la francophonie, torpillant au passage celle de la Canadienne Michaëlle Jean à un second mandat, sans même prendre la peine de l’en avertir, Macron a fait du Macron : à la fois disruptif et réaliste, avec une once de brutalité. Il y a, c’est sûr, du Bonaparte chez cet homme de 40 ans qui n’hésite pas à s’asseoir sur le « lobby des baïonnettes » pour recevoir, tout sourire, un Paul Kagame honni d’une partie de l’establishment militaire français.
La veille, flinguant sans prendre davantage de gants le « plan banlieue » et son auteur avec – Jean-Louis Borloo –, le Jupiter de l’Élysée avait ironisé sur les échanges de rapports pavloviens entre « mâles blancs qui ne vivent pas dans ces quartiers », offrant une victoire sémantique aux Indigènes de la République. Des toilettes du président Kaboré aux filets des pêcheurs comoriens, on ne sait jamais au juste si les expressions, parfois borderline, du chef de l’État français relèvent de la transgression volontaire, de la sortie audacieuse – mais bienvenue –, du déni ou du trait d’humour maladroit.
Elles font, en tout cas, partie de la panoplie communicative d’un homme qui, en politique étrangère presque autant qu’en politique intérieure, affiche sa volonté de rupture avec son prédécesseur. La ligne de conduite est simple : il faut parler avec tout le monde – Trump, Poutine, Rohani, Xi Jinping, même Bachar al-Assad (« personne ne m’a encore présenté son successeur ») –, et peu importent les critiques, pourvu que la posture et l’image qui va avec soient en décalage avec celles que renvoyait François Hollande l’indécis.
Le problème est qu’à force de la surjouer la rupture devient un piège : un an après l’élection, force est donc de constater que la continuité l’emporte sur ce que l’on annonçait à cor et à cri comme un tournant. Dans le fond, et même si la participation française au dernier raid sur la Syrie avait pour objectif de placer Paris à la table des négociations, ce ne sera au mieux qu’un strapontin. Idem en Israël-Palestine, où Macron compte se rendre bientôt : les déclarations de bonnes intentions pour un avenir de paix qui n’arrivera sans doute jamais auront bien du mal à masquer que la France sera, demain comme hier, évincée de tout pourparler sérieux. La Macron Magic a ses limites hexagonales.
Va-t-il achever la Françafrique ?
Reste l’Afrique, en particulier francophone, seule région du monde où ce qui se dit sur la rive gauche de la Seine rencontre encore un écho. « Va-t-il achever la Françafrique ? » titre JA cette semaine, en prélude à un dossier consacré à la politique continentale du président. La réponse est oui, pour trois raisons. D’abord parce que les dernières têtes de l’hydre ont été coupées sous le quinquennat de François Hollande. Au 2, rue de l’Élysée siège un Franck Paris qui n’a plus rien à voir avec les Michel de Bonnecorse, Bruno Delaye, Guy Penne ni évidemment Jacques Foccart. Avec lui, impossible de passer du salon à la cuisine : on reste dans le salon et on ne fraternise pas.
Ensuite parce que Emmanuel Macron ne se sent absolument pas comptable des méfaits d’une Françafrique à son apogée giscardienne, alors qu’il venait à peine de naître. Il a passé un coup de chiffon sur l’ardoise, replié les rétroviseurs et mis le cap sur l’Afrique qui l’intéresse, celle qui gagne. Enfin parce que le huitième président de la Ve République française est, contrairement à ce que laisse croire le raid syrien (destiné avant tout à affirmer que le pouvoir a tenu parole sur le franchissement de la ligne rouge), moins fasciné par l’outil militaire que ses prédécesseurs. Au Sahel, son objectif n’est pas d’accroître l’intervention, mais de se désengager et de faire payer à l’Europe une partie de la facture.
Un poids, une mesure ?
Cette realpolitik a plusieurs conséquences. La première est qu’Emmanuel Macron choisit ses interlocuteurs : ils sont d’Afrique de l’Ouest plutôt que d’Afrique centrale – quasi tricards à l’Élysée à l’exception du Tchadien Déby Itno, indispensable allié sur le terrain sahélien – et appartiennent à une Afrique mondialisée, connectée et prometteuse en matière de business, à la fois libérale et autoritaire. Soutenir la candidature de Louise Mushikiwabo à l’OIF est une audace calculée qui s’inscrit parfaitement dans ce cadre : s’il faut promouvoir un candidat africain, autant que ce soit la représentante d’un pays dont les performances économiques et sociales sont incontestables, quitte, une fois de plus, à transgresser les règles de la bien-pensance.
Le message à l’égard des opposants africains est clair : Prenez vos responsabilités. La France ne fera pas le job à votre place
La deuxième découle de ce qui précède : le message à l’égard des opposants africains est clair. En substance : Ne comptez pas sur moi pour m’ingérer à vos côtés alors que je ne le fais ni en Égypte, ni en Chine, ni en Russie, ni ailleurs. C’est la fin du deux poids, deux mesures, souvent reproché à Hollande. Au bénéfice des pouvoirs en place ? Oui, mais le message est à double sens : un régime en difficulté face à sa propre population n’obtiendra pas plus le soutien de la France.