D’un œil distrait, Nicolas Sarkozy observe son successeur avaler gloutonnement les kilomètres. Un jour à Carcassonne, l’autre à Longwy, il regarde François Hollande courir les librairies ou les galeries commerciales, dédicacer à tour de bras. Sourit-il, en son for intérieur, à la vue de ce Marc Levy de la politique ? Lui aussi a dédicacé des piles et des piles de livres. En septembre 2016, les gens attendaient parfois deux heures pour le voir griffonner quelques mots sur la deuxième page de son « Tout pour la France » et… patatras. Quelques mois plus tard, il n’accédait même pas au second tour de la primaire de la droite. Alors tout ça, c’est fini. Les kilomètres avalés pour quelques points dans les sondages, terminé. La quête du pouvoir à tout prix est derrière lui.
"Je vais peut-être être obligé de revenir…"
Et son entourage s’agace quand, comme la semaine dernière, son énième retour est annoncé. « Mais vous avez vu la situation ? Je ne vais pas avoir le choix, je vais peut-être être obligé de revenir… », aurait confié l’ancien président à ses proches. La phrase a été reprise en boucle dans toute la presse.
« Ça n’est pas son souhait, ça ne traduit pas sa pensée depuis les primaires », assure pourtant une proche. «Hollande veut revenir pas lui. Le souhait de Nicolas est de tourner la page, il n’est ni le gouvernail, ni la barre du bateau. Éventuellement le phare au loin », explique son ami Franck Louvrier.
« Il est l’objet de fantasmes, de scénarios fiction parce qu’il est encore jeune, parce que les sondages sont bons, ajoute son ancien conseiller Pierre Giacometti, il doit gérer ça ». Et ça n’est pas simple. Aussi, durant toute la crise des Gilets jaunes, l’ancien président est resté silencieux.
« Il préfère rester en réserve, il a choisi la discrétion, assure Pierre Giacometti, il réserve ses points de vue à des interlocuteurs politiques. C’est une discipline qu’il s’impose, une habitude qu’il a prise depuis les primaires ». Bref, Nicolas Sarkozy refuse de faire du François Hollande à coups de petites phrases médiatiques.
« C’est la différence entre un homme d’État et un homme qui reste le premier secrétaire du PS, sourit Camille Pascal (1), l’ancienne plume de Nicolas Sarkozy qui ajoute : « de toute façon, tout ce qu’il aurait pu dire se serait retourné contre lui. S’il a un rôle à jouer il le fait auprès du seul qui sait vraiment, c’est-à-dire Emmanuel Macron ».
Quand Sarkozy déjeune avec Macron
Les deux hommes ont d’ailleurs déjeuné ensemble vendredi 7 décembre, en pleine crise des Gilets jaunes et trois jours avant les annonces du chef de l’État sur le SMIC et la défiscalisation des heures supplémentaires. Une mesure mise en place par Nicolas Sarkozy et supprimée par François Hollande. L’ancien Chef de l’État aurait-il influencé le nouveau ? Là encore, les rumeurs vont bon train.
L’entourage de l’actuel Président aurait même assuré que Nicolas Sarkozy avait co-rédigé les propositions de lundi. « Il n’a pas besoin de la caution de Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron est suffisamment avisé », coupe court Pierre Giacometti. « Il n’était pas dans la confiance de ce qu’allait dire Macron », assure un autre conseiller, qui reconnaît cependant « que le contexte problématique du pouvoir d’achat a été évoqué par les deux hommes. Nicolas n’a jamais compris pourquoi François Hollande avait supprimé une réforme qui était installée et plébiscitée. Beaucoup de gens sont venus le voir pour lui dire : on ne comprend pas, ça avait augmenté notre pouvoir d’achat ». Camille Pascal va plus loin : « cette annonce, c’est la revanche politique de Nicolas Sarkozy sur le quinquennat de François Hollande ».
Sarkozy garde ses analyses pour lui
Rien ne filtrera, en revanche, de l’analyse que peut faire l’ancien Chef de l’État de la crise elle-même. « Il a son approche mais il ne souhaite pas la rendre publique. Il ne souhaite pas commenter, quelle que soit l’importance des événements. C’est important pour lui de ne pas être en permanence sur le feu de l’actualité, il ne faut pas être dans la BFMisation », assure Franck Louvrier.
« Il a toujours considéré que la société était vibrionnante et pouvait s’exprimer de façon forte mais il ne pensait pas que ça pouvait atteindre ce point-là, il est inquiet mais ne pense pas que la crise soit insoluble », ajoute un autre proche. « Il pense que les racines sont profondes donc que ça ne va pas s’arrêter comme ça, nuance Camille Pascal qui ajoute, nous avons beaucoup échangé sur les racines historiques de ce mouvement. C’est un mouvement très français, une révolte fiscale. Il fait le lien avec la révolution de 1830 ». (La révolution de Juillet, suite au raidissement du régime, renverse Charles X pour mettre au pouvoir Louis Philippe N.D.L.R.).
Nicolas Sarkozy se veut aujourd’hui discret, voyage beaucoup, fait des conférences avec ses anciens homologues comme ce fut le cas à Paris le 7 novembre avec Matteo Renzi et Gerhard Schröder ou encore mercredi prochain à Montpellier avec Tony Blair. « Ils s’apprécient beaucoup et se voient lorsque Tony Blair est en France », explique Franck Louvrier.
Il reçoit beaucoup de politiques
Mais Nicolas Sarkozy n’a pas pour autant rompu avec la politique nationale. Dans son bureau de la rue de Miromesnil, dans le VIIIème arrondissement de Paris, il reçoit, à tour de bras et toujours en tête à tête pour éviter les fuites. « Des jeunes parlementaires et des maires viennent le voir régulièrement, explique Franck Louvrier. Ça se fait à leur demande mais il ne refuse jamais. C’est une partie de sa vie et c’était intéressant pour lui d’en
tendre les nouvelles générations lui parler du pays. Ça n’est pas négligeable, cela manque à certains de ne pas avoir cette relation avec les élus ».
Mais Nicolas Sarkozy reste toujours vigilant. « On lui a tellement reproché de planer sur la droite et d’empêcher les uns et les autres d’exister, il ne veut plus être le grand marionnettiste de la droite », assure une proche. D’ailleurs, l’ancien Chef de l’État devait déjeuner prochainement avec un groupe de jeunes parlementaires, dont Virginie Duby-Muller, députée de Haute-Savoie, Fabien Di Filippo, député de la Moselle, Robin Reda député de l’Essonne ou encore Ian Boucard, député du territoire de Belfort, à leur demande.
Vous prendrez bien un "shoot" de Sarkozy ?
« On prend un shoot quand on le voit, il a une telle énergie, une telle vision, tous les gens qui sortent de là sont remontés à bloc », sourit Virginie Duby-Muller. Mais la rencontre devrait être reportée. « Dans les jours à venir, il ne va pas faire de politique, on va attendre la fin de cette zone de turbulence », assure l’un de ses conseillers qui craint les fuites. Le phare, au loin, attend l’accalmie. Mais l’envie, au fond, semble toujours présente. « Je n’étais pas loin de lui lors des cérémonies du 11 novembre, il semblait très heureux et fier d’être là. Il n’a pas changé, il dégage toujours la même énergie », sourit Richard Ferrand avec ironie et sympathie.
(1) L'été des quatre rois, Camille Pascal, août 2018, Plon