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Mort du général iranien Qassem Soleimani : pourquoi ça va secouer tout le Moyen-Orient



Personne, jusqu’ici, n’avait osé frapper si haut le régime iranien. Pas même les Israéliens ou les Saoudiens, pourtant en guerre larvée contre Téhéran. La frappe, apparemment décidée au plus haut niveau à Washington, c’est-à-dire par Donald Trump lui-même, a tué Qassem Soleimani, l’un des hommes clef du régime des Mollah. Un combattant qui a forgé, depuis l’intervention américaine en Irak en 2003, la stratégie régionale du régime iranien. Pour reprendre pied en Irak en soutenant les milices chiites qui ont profité du chaos laissé par les Américains. Pour renforcer le poids du Hezbollah au Liban, où il fut très actif durant toute la guerre de 2006 entre l’armée israélienne et les forces du Hezbollah. Celui du Hamas palestinien. Des milices au Yémen, et surtout des groupes armés ayant permis le maintien de Bachar el Assad en Syrie.


Si le fiasco irakien des années Bush a fait un vainqueur, c’est bien l’Iran qui a pu étendre son influence dans toute la région. Et l’artisan de cette montée en puissance n’était autre que le symbole des Gardiens de la Révolution, Qassem Soleimani. En 2013, The New Yorker en brossait un portrait particulièrement édifiant. Celui d’un homme à l’autorité naturelle. Silencieux, imposant. Un peu comme un grand parrain de la mafia, dont le moindre mot, le moindre geste, les silences même, transpirent l’autorité et diffusent la crainte. Les responsables du renseignement de toutes les grandes puissances savaient que pour être entendus à Téhéran, c’était à l’oreille de Soleimani qu’il fallait faire parvenir certains messages.


Casus belli !

La mort du chef de la force Quods des Gardiens de la Révolution est donc un événement majeur pour toute la région. Du point de vue américain, les récentes menaces physiques contre le personnel diplomatique de l’ambassade des États-Unis à Bagdad, orchestrées par les services iraniens, étaient déjà un casus belli. Le souvenir de 1979 et du siège contre l’ambassade américaine à Téhéran est resté, depuis quarante ans, une marque indélébile à Washington.

Mais l’attaque de cette nuit est tout aussi névralgique, du point de vue iranien. Depuis ce vendredi matin, tout diplomate américain est désormais une cible potentielle de représailles. Où qu’il se trouve. Le régime a déjà annoncé que la vengeance serait au rendez-vous. Les formes qu’elle peut prendre sont multiples. De l’attaque ciblée contre des intérêts américains dans la région ou ailleurs dans le monde, à, plus inquiétant et assez probable, une stratégie d’embrasement dans un ou plusieurs pays. Voire, l’hypothèse n’est plus théorique même si elle n’est pas automatique, une véritable guerre contre Israël et les États-Unis.

Et le fameux repli américain ?

Signe des temps, l’assassinat par un drone du général Soleimani ressemble un peu à une sorte de seconde intervention américaine, dix-sept ans après l’invasion de l’Irak. Mais avec des moyens et dans un contexte régional et international qui a complètement changé. En 2003, Washington avait profondément déstabilisé la région par une intervention au sol, aussi massive qu’improductive. En 2020, l’Amérique cible un personnage majeur de l’Iran par un drone et ferme immédiatement dans la foulée sa représentation diplomatique à Bagdad où son influence s’est effilochée progressivement.

Ce que tout le monde se demande, ce matin, c’est non seulement la manière dont va réagir Téhéran, c’est aussi la façon dont les dirigeants américains ont, ou non, prévu la suite. De nombreux diplomates et hauts fonctionnaires s’interrogent sur le fonctionnement de la prise de décision au sein de l’administration Trump. Certains modes opératoires au sein du renseignement et de la sécurité ont été parfois court-circuités par la gestion Trump.

En outre, plusieurs responsables démocrates doutent ouvertement aujourd’hui de la capacité de Donald Trump lui-même de mener un conflit. D’autant qu’une multitude d’acteurs vont vouloir participer à la vengeance iranienne contre Washington, et la figure du Grand Satan américain, si prégnante lors de la crise de 1979, est de nouveau prête à l’usage. Avec une différence de taille. Une Amérique sur le repli et hostile aux instruments du multilatéralisme risque de se retrouver encore plus seule qu’en 2003, lorsque son intervention en force avait divisé les Européens et contraint Paris à s’opposer à son allié américain.

Déstabilisation

Trump a-t-il voulu faire un coup à la veille de la prochaine élection présidentielle, en misant sur le fait que l’électorat est toujours réticent à changer de commandant en chef en plein conflit ? Si tel est le pari, il est particulièrement risqué. Car aujourd’hui, les équilibres des forces à l’international ne sont plus les mêmes. Le repli stratégique américain, qui ne cesse de décrédibiliser les instances internationales à commencer par l’ONU, a déjà donné des ailes à plusieurs puissances, comme la Turquie qui se considère autorisée à intervenir en Syrie, et maintenant en Libye, sans consulter le moins du monde ses alliés de l’OTAN.

L’Iran, en outre, est un fournisseur important de la Chine en hydrocarbures. La guerre en Syrie a renforcé le partenariat avec la Russie qui a mis en garde vendredi contre les conséquences de cette opération américaine qualifiée par Moscou de hasardeuse et synonyme d’un accroissement des tensions dans la région. Moscou, qui est la seule puissance à avoir conservé des liens très directs et parfois même très étroits avec l’ensemble des acteurs de la région et en particulier avec l’Iran, est prudent pour l’instant. On peut sans doute estimer qu’un espace de médiation diplomatique potentielle s’ouvre pour Poutine, mais il est trop tôt pour le dire.

Ce qui est en revanche déjà palpable, c’est la nouvelle déstabilisation qui vient ce matin de secouer le Moyen-Orient. Et le chaos est un virus contagieux, surtout quand aucune instance de modération n’est plus reconnue comme légitime par l’ensemble des acteurs.

ouest-france

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