Le chef d'état-major des armées françaises, le Général Pierre de Villiers, avait, on se rappelle, exprimé son désaccord en des termes vifs et franchement impudiques face à la décision du gouvernement Macron de revoir à la baisse le budget affecté à la défense nationale. Son coup de gueule, il l'a fait devant l'Assemblée nationale. « Je ne vais pas me faire b. comme ça », avait-il notamment martelé devant les députés, et certains de ces derniers avaient eu du mal à dissimuler leur ahurissement. Car, c'est la première fois, dans l'histoire de la 4e République, qu'un chef d'état-major se permet une telle liberté de ton, qui plus est, de manière publique. Cela lui a valu une volée de bois vert de la part du chef suprême des armées, c'est-à-dire le président de la République, Emmanuel Macron. Celui-ci, vertement et de manière publique, a tenu à remonter les bretelles au général « mutin » en lui rappelant notamment que ses propos étaient une entorse au fonctionnement de la République, en ce sens qu'il n'est pas dans ses prérogatives de remettre en cause et ce, de manière publique, les options gouvernementales en matière de budget de l'armée. En tout cas, l'on peut dire que la réponse du locataire de l'Elysée, par ailleurs chef suprême des armées en vertu de la Constitution, a été à la hauteur de l'affront. Emmanuel Macron a réagi en écorché vif Extrait de mots traduisant la colère du président : « Je considère qu'il n'est pas digne d'étaler certains débats sur la place publique. J'ai pris des engagements. Je suis votre chef. Les engagements que je prends devant nos concitoyens et devant les armées, je sais les tenir. Et je n'ai, à cet égard, besoin de nulle pression et de nul commentaire ». Voici qui est clair, Emmanuel Macron a réagi en écorché vif face aux propos de Pierre de Villiers. Décidément, « nos ancêtres les Gaulois » ont la palme d'or en matière de tirades. Et ce qui rend, dans le cas d'espèce, davantage croustillantes et atypiques celles-ci, c'est qu'elles touchent à une institution dont la caractéristique principale est qu'elle a de manière congénitale, la phobie du bruit, c'est-à-dire l'armée. Le linge sale, dit-on, se lave en famille. Et surtout quand ce linge a la couleur kaki, cet adage doit être religieusement observé. Visiblement, le chef d'état- major général des armées françaises et le président Macron ont délibérément choisi de passer outre cette sagesse. Cela dit, l'on peut ne pas être d'accord avec la manière, peu élégante peut-on dire, avec laquelle le chef d'état-major, le Général de Villiers, a assené publiquement ses vérités, mais l'on doit reconnaître que c'est un homme de conviction et de cohérence. Et il vient de le démontrer en rendant sa démission le mercredi 19 juillet 2017.
Comment peut-on résister à la tentation de ne pas se laisser séduire par son attitude, surtout quand on est en Afrique ? En effet, le Général de Villiers a beau être militaire et donc soumis au devoir de réserve, cela ne l'a pas empêché de dire haut et fort que « le ministère de la Défense a été la principale victime des politiques de révision générale des politiques publiques ». Et d'en tirer la conclusion en faisant observer ceci : « Je considère ne plus être en mesure d'assurer la pérennité du modèle d'armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français aujourd'hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays ». Quel bel exemple de courage et de dignité, peut-on s'extasier !
Quand un homme n'est pas d'accord, il dit non
Si son attitude pouvait faire des émules en Afrique, beaucoup de choses pourraient bouger dans le bon sens. Mais là, il n'est pas permis de rêver. Car, sous nos tropiques, on serre les fesses et on exécute et ce, quelle que soit la grosseur de la couleuvre politique à avaler. Cette attitude de « Yes man » c'est-à-dire de béni oui-oui, pour reprendre l'expression d'un homme politique burkinabè, est d'autant plus érigée en règle générale que bien des Africains perçoivent les fonctions publiques avant tout comme un marchepied vers l'enrichissement personnel et la gloire. De ce fait, on est prêt à faire toujours l'âne pour avoir du foin. Et la meilleure manière d'y arriver le plus tôt possible, est de s'accrocher aux basques des hommes forts du moment à qui l'on a aucune gène de vouer quasiment un culte chaque jour que Dieu fait. A ce propos, l'on se souvient encore de l'attitude de l'ex-chef d'état-major de l'armée gambienne sous Yahya Jammeh. Celui-ci, en effet, n'avait pas craint de marteler à la face du monde, au moment où le dictateur voulait s'accrocher à son fauteuil en dépit du fait qu'il avait perdu les élections, qu'il restait fidèle à Yahya Jammeh au prétexte qu'il lui devait sa solde. Et cette attitude de l'ancien patron de l'armée gambienne est révélatrice d'un état d'esprit et d'une culture que malheureusement la quasi- totalité de l'Afrique a en partage. Quand on ramène ce comportement à l'échelle de nos armées, l'on peut comprendre pourquoi des hommes comme le Général de Villiers y sont pratiquement inexistants. Car, dès qu'un chef militaire s'autorise la moindre critique vis-à-vis de la gouvernance de l'armée par le politique comme l'a fait le désormais ex-chef d'état-major des armées françaises, il court le risque, dans le meilleur des cas, d'être limogé, et dans le pire des cas, d'être présenté devant un peloton d'exécution pour atteinte à la sûreté de l'Etat. Sans justifier les purges récurrentes dont les armées africaines sont coutumières, il faut reconnaître que dans bien des cas, la fonction de chef d'état-major des armées a très souvent servi de tremplin pour accéder à la magistrature suprême sous nos tropiques. Et pratiquement tous les militaires qui ont utilisé cette voie pour se hisser au sommet de l'Etat, se sont révélés par la suite pires que ceux qu'ils ont remplacés. De tout ce qui précède, le principal enseignement que l'on doit tirer à propos de la démission du Général de Villiers de son poste de chef d'état-major des armées françaises est le suivant : quand un homme n'est pas d'accord, il dit non et il doit être prêt à en assumer toutes les conséquences. Cette leçon de vie a-t-elle la chance d'être entendue en Afrique ? En tout cas, il faut l'espérer.