Dans le conflit qui oppose les deux pays ouest-africains, la justice a tranché en faveur du Ghana. Une décision qui permet à la junior britannique de reprendre ses projets d’exploration du gisement TEN.
Tim O’Hanlon, le patron Afrique de Tullow Oil, attendait cette décision de justice depuis trois longues années. Le 23 septembre, le Tribunal international du droit de la mer (TIDM), installé à Hambourg, en Allemagne, a enfin statué sur le différend opposant le Ghana et la Côte d’Ivoire à propos de leur frontière maritime. Une limite des eaux territoriales mal définie jusqu’à présent – comme de nombreuses autres frontières maritimes africaines – qui jouxtait côté ghanéen le gisement Tweneboa-Enyenra-Ntomme (TEN), découvert en 2009 par la junior londonienne.
À la surprise des Ivoiriens, qui s’attendaient à gagner la bataille – et une partie des barils issus du gisement de Tullow Oil –, les juges du TIDM ont plutôt donné satisfaction à l’essentiel des revendications du Ghana, qui avait engagé la procédure en décembre 2014 pour obtenir un tracé de frontière lui assurant l’entière propriété de TEN.
Désormais, nous allons forer 13 nouveaux puits pétroliers à TEN
Depuis le début de cette procédure, la junior britannique, coincée entre deux pays ouest-africains dont elle convoite les hydrocarbures, avait vu ses projets d’expansion gelés tant du côté ghanéen – pour TEN – que du côté ivoirien. Si l’exploitation de TEN avait bien démarré en août 2016, bien que contrôlée par les autorités des deux États, la compagnie britannique avait mis sous cloche ses projets d’exploration complémentaire de ce gisement.
Respect du jugement
« Désormais, nous allons forer 13 nouveaux puits pétroliers à TEN, en plus des 11 déjà en exploitation, et nous allons porter en deux ans la capacité de production du gisement de 50 000 barils par jour fin 2017 à plus de 80 000 barils par jour », exulte Tim O’Hanlon, joint par Jeune Afrique peu après l’annonce du jugement. La décision de justice arrange ses affaires, puisqu’il avait acquis son permis pétrolier auprès du Ghana seul. Il n’a pas de renégociation à mener avec la Côte d’Ivoire en vue d’une exploitation conjointe de TEN, qui aurait été forcément difficile à définir.
Si l’Irlandais affirme ne pas être intervenu directement dans le conflit judiciaire interétatique, se bornant seulement à fournir des documents cartographiques à la partie ghanéenne, il n’a pas manqué de faire valoir aux autorités des deux pays l’intérêt d’accepter sans barguigner la décision du TIDM, quelle qu’elle soit, pour faire avancer les projets pétroliers dans la région.
Maintenant que la frontière est fixée, nous allons accélérer les négociations en vue de l’acquisition de nouveaux permis d’exploration
« Dès l’annonce du jugement, Abidjan et Accra se sont en effet engagés à le respecter, à l’inverse de ce qui s’est passé dans d’autres différends du même ordre en Afrique subsaharienne [notamment entre le Cameroun et le Nigeria, ce dernier refusant un jugement en sa défaveur en 2002]. C’est pour nous le gage d’un retour très rapide à nos plans de développement dans les deux pays », assure le bouillonnant Irlandais, qui arpente le continent pour le compte de Tullow Oil depuis la création de sa compagnie, à la fin des années 1980, avec une présence dans dix pays ouest-africains et est-africains.
Négociations
« Nous sommes présents depuis plus de vingt ans en Côte d’Ivoire. Maintenant que la frontière est fixée, nous allons accélérer les négociations en vue de l’acquisition de nouveaux permis d’exploration », indique Tim O’Hanlon, qui, bien que favorable à la solution ghanéenne, a toujours su ménager Abidjan. Si le dirigeant pétrolier refuse de préciser les blocs ivoiriens visés, c’est un secret de Polichinelle que Tullow Oil convoite les blocs ivoiriens offshore, et notamment le CI-524, proches de la frontière ghanéenne, et de TEN.
Selon une source proche des autorités à Abidjan, Thierry Tanoh, le ministre du Pétrole et de l’Énergie, aurait souhaité adjuger la zone contestée à la compagnie en juillet, mais Amadou Gon Coulibaly, le Premier ministre, lui aurait demandé d’attendre la résolution du conflit frontalier.
Sur le plan financier, le jugement du TIDM vient à point nommé pour Tullow Oil, découvreur et exploitant du mégagisement de Jubilee, situé à quelques encablures de TEN, mais plus à l’intérieur des eaux ghanéennes, qui avait suscité un regain d’intérêt des compagnies pétrolières pour la région. « Le procès à Hambourg faisait peser sur nous un risque majeur, notre crédit auprès des institutions et des banques était entamé. Maintenant que ce risque est levé, nous allons pouvoir accéder à de meilleurs partenariats financiers », explique Tim O’Hanlon. Porté par la décision du TIDM, le titre du groupe, coté à Londres, est quant à lui passé de 151,10 à 193,40 livres sterling (de 164,10 à 220,30 euros) entre le 1er et le 27 septembre.
Renaissance
Pilotée depuis avril par un nouveau CEO, le Britannique Paul McDade, qui a pris la suite du fondateur irlandais Aidan Heavey, resté président du conseil d’administration, Tullow Oil espère que ce jugement marque le début d’une renaissance. Affaiblie par le conflit frontalier Ghana-Côte d’Ivoire, mais aussi et surtout par la chute des cours du baril et par des problèmes techniques à Jubilee, qui ont amputé d’un tiers (environ 20 000 barils) la production du gisement phare de la compagnie en 2016, la junior pétrolière était mal en point.
Elle affichait une perte après impôt de 309 millions de dollars (270 millions d’euros) au premier semestre de 2017, après une année 2016 très difficile, avec 597 millions de dollars de pertes.
Après la revente de ses actifs ougandais à son partenaire Total en janvier de cette année et les difficultés de développement de ses projets au Kenya, notamment pour trouver un accord autour d’un pipeline, le groupe devrait concentrer l’essentiel de ses efforts sur sa zone de prédilection depuis deux décennies : l’Afrique de l’Ouest.
Si la Côte d’Ivoire est clairement dans son viseur, le pétrolier britannique, qui a drastiquement resserré ses coûts et s’est désendetté depuis deux ans, veut aussi faire avancer ses projets d’exploration en Mauritanie, où son concurrent et partenaire Kosmos Energy, avec qui il avait découvert Jubilee, a mis au jour des réserves importantes de gaz.
Le coût du litige
Selon les estimations du juriste international Pieter Bekker, chaque État a dépensé entre 500 000 dollars et 2 millions de dollars par an, soit au total entre 3 à 6 millions de dollars pour le Ghana – plutôt dans la fourchette haute – comme pour la Côte d’Ivoire – dans la fourchette basse – pour rémunérer experts et avocats.