Comment souvent lorsque l'on parle de la Chine en Afrique, les clichés, les raccourcis et les procès d'intention ne sont jamais bien loin sous couvert d'un légitime débat sur cette nouvelle donne sino-africaine. La dette ne fait pas exception. L'annonce à la fin de la 7e édition du Forum sur la coopération sino-africaine d'une promesse par Pékin de 60 milliards de dollars (51 milliards d'euros) pour le développement de l'Afrique a autant réjoui les futurs récipiendaires qu'inquiété les plus sceptiques sur l'influence économique croissante de la Chine en Afrique. Un sujet épineux tant par sa complexité technique que par sa dimension politique très sensible.
Selon Masood Ahmed, président du cercle de réflexion Center for Global Development, la part de la Chine a désormais dépassé le total de celles du Club de Paris, de la Banque mondiale et de toutes les banques régionales de développement dans la dette des pays pauvres entre 2013 et 2016. D'après le China Africa Research Initiative, laboratoire de recherche hébergé par l'Université Johns Hopkins, au moins 132 milliards de dollars ont été empruntés par les Etats africains depuis 2000.
Risque de surendettement
Plusieurs voix en Afrique commencent à s'élever sur les dangers de cette dépendance croissante vis-à-vis de Pékin. Un parallèle commence à êtrefait entre la situation de certains pays africains et celles de pays d'Asie du Sud-Est, certains analystes parlant de « diplomatie de la dette piégeuse »ou de « piège de la dette ».
Fin août, le premier ministre malaisien, Mahatir Mohamad, a fait sensation en annonçant l'annulation de trois projets conclus avec la Chine d'un montant total de quelque 22 milliards de dollars. Craignant une « nouvelle version du colonialisme », le premier ministre a justifié ces annulations en expliquant que son pays ne pourrait rembourser de telles sommes avec le contexte budgétaire actuel.
Au même moment, le président du Ghana, Nana Akufo-Addo, fait face à une fronde de l'opposition au Parlement concernant un financement chinois de 2 milliards de dollars contre des produits raffinés de bauxite. L'opposition a choisi de saisir le Fonds monétaire international (FMI) pour bénéficier de son expertise sur l'impact de ce marché sur la dette ghanéenne.
Mais si la Chine peut faire figure de coupable idéal, notre attention devrait en réalité se porter sur les vrais responsables de la gestion de la dette qui sont uniquement nos gouvernements. Il est trop facile de se dérober en accusant des puissances étrangères ou des institutions internationales sans se demander d'abord si la bonne gouvernance et une gestion rigoureuse des finances publiques sont à l'ouvre chez nous.
Or, aujourd'hui, l'histoire se répète : le FMI tire la sonnette d'alarme sur le risque de surendettement pour certains Etats africains. Selon l'institution de Washington, quinze pays d'Afrique subsaharienne sont en situation de surendettement ou en phase de l'être. Un terrible échec pour nous Africains si nous devons passer les prochaines années à faire face à une nouvelle crise de la dette plutôt que d'envisager des investissements d'avenir pour la jeunesse et le développement de nos économies.
Fléau de l'évasion fiscale
L'argument fallacieux par excellence est de comparer les niveaux de dettes des pays occidentaux, plus élevés que les nôtres, et ceux des pays africains. Deux différences fondamentales ne permettent pas cette comparaison. D'abord la faible capacité de mobilisation des recettes fiscales des Etats africains compte tenu du poids de l'économie informelle, ainsi que l'incapacité de nos administrations à enrayer le fléau de l'évasion fiscale. Puis les écarts importants entre les taux auxquels les pays occidentaux et les pays africains empruntent, révélateurs du niveau de perception du risque par les investisseurs. Le vrai sujet n'est donc pas le niveau de la dette mais sa soutenabilité, qui est particulière à chaque pays en fonction de sa capacité à lever des impôts ou à abaisser ses dépenses, de sa stabilité économique et politique.
Aujourd'hui, le compte n'y est pas. Fin 2017, la dette publique moyenne en Afrique subsaharienne s'élevait à 46 % du PIB selon le FMI, soit près du double de son niveau de 2010. Si la Côte d'Ivoire a vu sa dette baisser au sortir de la crise, celle-ci est à présent en hausse. Malgré les importants progrès réalisés, les pays africains possèdent toujours le ratio recettes-PIB le plus faible au niveau mondial.
En parallèle, la transition pour de nombreux pays africains trop dépendants des matières premières vers des économies diversifiées est loin d'être réalisée, les exposant aux moindres soubresauts des marchés internationaux. Pour remédier à ces faiblesses, de nombreuses réformes sont nécessaires : une meilleure gouvernance des finances publiques, l'amélioration de la performance fiscale, le renforcement de notre attractivité auprès des investisseurs étrangers et l'accélération de la diversification de nos économies.
La dette est un excellent outil pour financer le développement des pays africains à condition qu'elle ne devienne pas un poids grevant le budget des Etats et sapant la souveraineté de nos nations. Les dirigeants africains doivent avoir en permanence à l'esprit qu'il est nécessaire d'articuler une vision stratégique du développement avec la soutenabilité de la dette. Une articulation indispensable pour permettre aux pays africains d'être réellement indépendants économiquement et politiquement.
Jean-Louis Billon est ancien ministre du commerce de Côte d'Ivoire, secrétaire exécutif du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI), et industriel (ancien président du conseil d'administration du groupe agro-industriel Sifca).