Et si la cherté de la vie en Côte d’Ivoire venait du manque à gagner de l’Etat au niveau du recouvrement des impôts ? Chaque année des milliards de FCFA, en l’absence de chiffres consolidés officiels, sont aspirés par la corruption et certaines activités génératrices de revenus, au noir qui échappent au contrôle des autorités. Une perte énorme qui rend le pays impuissant face à la flambée des prix. Poleafrique.info y jette un regard.
Des pratiques peu orthodoxes plombent l’économie ivoirienne et sont dénoncées par les bailleurs de fonds, les ambassades et autres organisations de promotion de la bonne gouvernance. A côté, il y a comme une volonté manifeste des pouvoirs publics de laisser perdurer les mauvais comportements qui font perdre de l’argent à l’Etat au profit des individus. Dans plusieurs localités en Côte d’Ivoire, de petits commerces ou entreprises, préfèrent des « arrangements », au respect scrupuleux de la loi fiscale. Et cette pratique touche plusieurs secteurs d’activités. Selon plusieurs sources, un forfait est par exemple appliqué aux droits de douane sur les marchandises importées dans le pays par des commerçants. Les réseaux à la douane et aux impôts sont chargés de “gérer” les dossiers de leurs camarades depuis le port d’Abidjan jusqu’à dans les magasins.
Le cas de ces commerçants est plus parlant. Selon la source de PôleAfrique.info, “c’est à partir du vendredi nuit que leurs marchandises sortent des containers non inspectés par les services des douanes”.
Sur l’électro-ménager, les droits de douane officiels sont environ de 15 millions FCFA et le forfait consenti pour ces commerçants est de 8 millions, soit une perte de 7 millions FCFA. Pour le textile, les droits de douane s’élèvent à 12 millions, le forfait payé est de 7 millions FCFA, soit une perte de 5 millions FCFA. Pour la pneumatique, c’est 14 millions FCFA à payer à la douane, mais les réseaux empochent la moitié et un forfait de 7 millions FCFA est reversé dans les caisses de l’Etat, soit 7 millions de perte et enfin, pour le matériel informatique, 17 millions FCF et un forfait de 9 millions FCFA soit 8 millions FCFA qui s’évaporent en chemin. Le total des pertes sur ces importations pourtant non exhaustives, s’élève à 28 millions de FCFA. Une somme importante qui profite à des fonctionnaires, payés par l’Etat, alors qu’elle pouvait bien renflouer les caisses publiques.
Dans certaines villes du pays notamment à Bouaké ou Korhogo, des véhicules de transport en commun ne payent que des taxes à la mairie. Sans assurance, ni patente à jour, les taxis communaux et motos taxi exercent au vu et au su des autorités sans jamais être inquiétées. Dans la capitale du centre-Nord, les chauffeurs de taxi communaux ne se cachent pas pour remettre 200 FCFA aux agents, qui font la monnaie. “Si on veut bien faire le contrôle, est-ce que ça peut aller?” a tenté de justifier un policier à bord d’un véhicule. Ainsi, des véhicules non à jour dans les documents administratifs circulent. On se remet donc à Dieu. Les motos taxi eux, payent 3000 FCFA à la mairie par mois. Pas d’immatriculation, ni de permis de conduire, ni de casque et jamais d’assurance; on attend l’accident de la circulation pour s’émouvoir. Plusieurs centaine de motos taxi circulent dans la ville.
Selon Dr Christophe Kouamé, président de CIVIS-CI, une ONG qui lutte contre la corruption dans le pays, tout part d’une volonté politique.
« On peut éradiquer la corruption à condition que les autorités prennent le problème à bras le corps. Tout doit partir de la tête. Ce phénomène fait perdre des milliards de FCFA à la Côte d’Ivoire chaque année. Et pourtant cette somme pouvait servir à subventionner des produits de première nécessité et à résister à la fluctuation des prix à l’international. On parle de la corruption à petite échelle mais il faut surtout s’attaquer à ceux qu’on appelle les gros morceaux. Il ne faut pas voir seulement le policier ou l’agent de mairie qui réclame un pot de vin pour un service public, plutôt l’opérateur économique, qui soudoie pour obtenir un marché. Voilà ce que nous dénonçons » indique-t-il.
Aux taxes non prélevés, s’ajoutent les amendes. Les ivoiriens ne payent pas les amendes liées aux infractions du code de la route. On préfère une fois de plus s’arranger avec le policier plutôt que s’acquitter d’une sanction financière, qui va directement dans les caisses du Trésor.
Ahoussi Arthur, Directeur général adjoint du trésor, a révélé jeudi dernier lors d’une journée de sensibilisation contre l’alcool et le téléphone au volant, qu’en France par exemple, les amendes participent au financement du budget de l’Etat à environ 50%, tandis qu’en Côte d’Ivoire cette ressource y contribue seulement pour 1% à peine.
« Les amendes pourraient constituer une ressource substantielle au financement du budget de l’Etat si nous parvenons à sanctionner effectivement les contrevenants » a-t-il indiqué.
Mais selon Marius Comoé, président de la plateforme des associations de consommateurs de Côte d’Ivoire, tout est question de gouvernance.
« Si ceux mêmes qui dirigent les pays, se taillent la grosse part du gâteau, comment voulez-vous que les autres suivent ? Les gouvernements se suivent et se ressemblent malheureusement. On peut dire en effet que si l’Etat avait suffisamment les moyens, il pourrait subventionner un certain nombre de produits et ainsi éviter la flambée des prix. Cependant regardez en France. Le fisc est très rigide mais on a vu la colère des gilets jaunes face à la surtaxe. Tout part donc d’une volonté politique et il est temps qu’on se réveille. Aucun politicien ne viendra mener le combat à notre place car chacun lutte pour ses intérêts personnels » réagit-il.
Pourtant en Afrique, certains pays ont réussi à mettre en place, une véritable politique de lutte contre la corruption. C’est le cas du Rwanda dont le président Paul Kagamé a séjourné sur les bords de la lagune Ebrié du 19 au 20 décembre dernier. Il a même abordé le sujet devant des chefs d’entreprises ivoiriens en présence du Vice-président Daniel Kablan Duncan.
« Combattre la corruption ne doit pas se faire de manière sélective, il faut aussi aller faire de gros poissons » a déclaré le Président rwandais Paul Kagamé, devant le patronat ivoirien ce jeudi 20 décembre, lors de sa visite dans le pays. Jusque-là, en Côte d’Ivoire, on s’est juste contenté des effets d’annonce.
La Côte d’Ivoire occupe la 18è place sur 54 pays en Afrique et est classée 103è au niveau mondial.
Eric COULIBALY